D’après
le Collectif pour un audit citoyen (CAC), la dette publique grecque
d’avant la crise est le fruit du mariage de deux maux nés l’un
après l’autre. Les taux d’intérêt exorbitants contractés par
l’État dans les années 1980 et la baisse des recettes publiques
au début des années 2000.
Il
y a dix jours, le Parlement grec annonçait la création d’une
commission d’audit de la dette du pays pour distinguer la part
légitime de l’illégitime. « Cet outil permettra ainsi de
rétablir une injustice majeure commise à l’encontre du peuple
grec et de savoir comment le pays en est arrivé là », espérait
alors la présidente de la Vouli, Zoé Konstantopoulou. Moins de deux
semaines plus tard, les premières réponses à cette question
cruciale arrivent. Le Collectif pour un audit citoyen de la dette
publique publie aujourd’hui la version finale de sa « contribution
à l’audit de la dette grecque ». Et force est de constater que
les conclusions détaillées de la note fournie par le collectif
français ne vont pas dans le sens des prêtres de
l’ultralibéralisme. « L’envolée de la dette grecque avant la
crise est largement imputable à des taux d’intérêt extravagants
(entre 1988 et 2000) et à une baisse des recettes publiques
provoquée par des cadeaux et des amnisties fiscales à partir de
2000 », affirme ainsi le rapport du collectif. « Sans ces
dérapages, elle n’aurait représenté que 45 % du PIB en 2007 au
lieu de 103 %. On peut en conclure que 56 % de la dette grecque
acquise avant la crise était illégitime. » Net et sans bavure.
Les
demandes du gouvernement grec d’un audit de la dette ont déjà
reçu leur première réponse en forme de pavé dans la mare pour les
tenants de l’orthodoxie libérale. Il faut dire que le Collectif
pour un audit citoyen de la dette publique (CAC), composé de membres
des Économistes atterrés, d’Attac et d’autres penseurs
critiques de la doxa libérale, n’en est pas à son coup d’essai.
L’an dernier déjà, le même collectif français avait produit un
travail sur la dette de la France en utilisant les mêmes méthodes
que pour la présente note. À l’époque déjà, nous apprenions
que 59 % de la dette publique française n’était pas légitime.
quelles
sont les raisons
de ce bond de la dette grecque?
Pour
le problème grec, l’idée était simple : remonter concrètement
aux sources de la dette. Car s’il est admis que l’explosion de la
dette publique hellène (aujourd’hui de 175 % du PIB) est
principalement liée aux politiques d’austérité menées à marche
forcée par la troïka (FMI, BCE, Commission européenne), il ne faut
pas oublier que cette même dette culminait déjà à 103 % du PIB
en 2007, à l’aube de la crise financière.
« Selon
la vulgate économique et médiatique ordinaire, les déficits
publics proviendraient d’une “administration pléthorique, 7 %
du PIB contre 3 % en Europe”, et d’une “difficulté à lever
l’impôt et à maîtriser les dépenses” », rappelle ainsi
l’économiste Michel Husson, l’un des principaux contributeurs de
cette note qui se plaît à prendre le contre-pied de ce chant
funèbre. Basé sur l’étude approfondie des comptes nationaux de
la Grèce et révisé par Eurostat, le rapport du CAC offre de
nouveaux arguments et pose de nouvelles questions. Comment, en effet,
la dette d’un pays peut-elle passer de 20 % du PIB en 1980 à
103 % du PIB au début des années 2000, soit huit ans avant la
crise financière ?
La
réponse du collectif est limpide : « Malgré une forte hausse
de la fiscalité dans les années 1990, l’envolée de la dette
grecque avant la crise est largement imputable à des taux d’intérêt
extravagants (entre 1988 et 2000) et à une baisse des recettes
publiques provoquée par des cadeaux et des amnisties fiscales à
partir de 2000 », affirme ainsi le rapport du CAC, concluant dans
la foulée que 56 % de la dette grecque était illégitime. Et pour
cause, les taux d’intérêt – en moyenne 12 % à 13 % dans
une période située entre 1980 et 1993 – ont fait bondir de
70 points la dette du pays. Dans cette même période, l’étude
du CAC fait observer que les intérêts contribuaient pour 57 % à
l’accroissement de la dette ; une proportion qui atteint même
65 % entre 1988 et 1993. « Ce poids des intérêts
correspond en grande partie à l’effet boule de neige qui se
déclenche quand le taux d’intérêt est plus élevé que le taux
de croissance du PIB », précise Michel Husson.
Mais
alors quelles sont les raisons de ce bond de la dette grecque dans
les années 1980-1990 ? Thomas Coutrot, membre des Économistes
atterrés et coprésident d’Attac, met en avant le rôle néfaste
des marchés financiers et des banques. « La crise monétaire du
début des années 1990 – beaucoup de pays se préparaient alors
à entrer dans l’euro – est la cause principale de ce bond de
la dette grecque », explique l’économiste à l’Humanité.
« La spéculation sur les monnaies européennes a eu un effet
désastreux. Et trente ans plus tard on continue de payer cher cette
crise spéculative qui représente environ 30 % de la dette
actuelle de la Grèce… Ce qui est d’ailleurs aussi valable pour
la France. » Pour bien cerner l’ampleur des dégâts, le texte
montre quel devrait être le montant « normal » de la dette
grecque, en prenant pour référence un taux d’intérêt réel ne
dépassant pas 3 %. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : « Si
le taux d’intérêt de la dette n’avait pas dérapé entre 1988
et 2000, le ratio dette/PIB aurait été, en 2007, de 64,4 % au
lieu de 103,1 %, soit un différentiel de 38,7 points de PIB. »
Autrement dit, une moyenne de quatre points de moins par an !
Mais
ce n’est pas tout, outre l’effet boule de neige provoqué par des
taux d’intérêt iniques, la Grèce est aussi victime d’un manque
cruel de recettes depuis l’entrée du pays dans la zone euro. « Les
recettes publiques, toujours en proportion du PIB, ont commencé à
baisser aussi vite qu’elles avaient monté. Puis, à partir de
2005, la remontée des dépenses a été accompagnée d’une
progression concomitante », constate Michel Husson. Si les
recettes publiques n’avaient pas baissé à partir de 2000, la
dette publique grecque aurait représenté 86,2 % du PIB au lieu de
103,1 %, soit un écart de 16,9 points de PIB.
Les
chiffres ne mentent pas...
n’en déplaise à Mme Merkel
Conclusion,
si les taux d’intérêt imposés à la Grèce étaient restés
raisonnables (autour de 3 %) et que le maintien des recettes avait
été assuré par les politiques, alors… la dette grecque n’aurait
représenté que 45,3 % du PIB au lieu de 103,1 %, soit un écart
de 57,8 % du PIB ! Les chiffres ne mentent pas. Et n’en
déplaise à Mme Merkel, la fainéantise prêtée par les
populistes aux Grecs n’a décidément rien à voir avec la dette
qu’on leur demande de payer aujourd’hui.
Tsipras
veut faire payer Berlin. Le bras de fer se poursuit. Mardi, devant
le Parlement grec, le premier ministre Alexis Tsipras annonçait
sa volonté de mettre sur pied une commission sur
les
réparations allemandes dues en raison de l’Occupation.
« L’Allemagne, malgré les crimes du IIIe Reich (…), a
bénéficié – avec raison – d’une série de soutiens.
La
plus importante d’entre elles a été la restructuration des
dettes de la Seconde Guerre mondiale avec le traité de Londres de
1953 », a-t-il asséné. Le ministre
de la Justice, Nikos
Paraskevopoulos, s’est, quant à lui, dit prêt à saisir des
biens immobiliers allemands afin de garantir le remboursement.
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